Critique de
Blaise


Avatar Ned C.


Par
Ned C.,
sa note :

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Il n’y a pas photo, Dimitri Planchon est un génie. Prodige de la narration, prince de l’humour (caustique mais tout en finesse) et virtuose du roman-photo qu’il égratigne au passage voire qu’il déglingue allégrement.

Artiste au sein de l’équipe du magazine Fluide Glacial, il me faisait rire mais je n’avais pas lorgné du coté de ses albums (la faute peut-être à la laideur de la couverture du tome 1 de Blaise). Après avoir acheté puis lu le premier volume, que j’ai plus qu’adoré, je revint avec empressement le lendemain chez mon libraire acheter les deux tomes suivants afin de

compléter cette trilogie hors-normes.

Le style graphique de Planchon est vraiment particulier : il mélange collages photos et dessins réalistes traditionnels et les mixe entre eux, les retouche pour en faire un résultat unique (si quelqu’un connaît un auteur similaire utilisant les mêmes procédés artistiques en bande-dessinée, merci de m’en faire part, je suis plus que preneur !!!). Il confectionne avec soin des petites historiettes toutes reliées entre elles. Prenant souvent le même personnage et se contentant simplement de lui faire hausser un sourcil ou entrouvrir la bouche. Et ça fonctionne ! Il donne vie à ses personnages avec quelques petites astuces toutes simples d’expressions faciales ou la position d’une main. Ils ont ce petit coté poupée de ventriloque

ou bien marionnette de ventriloque assez marrant. Ce magicien de Planchon réussit l’impossible en leur donnant vie grâce à d’infimes détails. Certaines grimaces suffisaient à me faire m’esclaffer. Le procédé utilisé parait à première vue simpliste, amateur ou maladroit mais je pense que c’est voulu et c’est quant même plus comique quand il y a un coté puéril. Le style s’améliore nettement sur le troisième volume.

La galerie de figurants déployée est magnifiquement riche et variée. On les retrouve avec plaisir au fur et à mesure de l’ »épopée » de Blaise. Nous les revoyons donc avec délice vieillir dans les tomes suivant le premier opus et leurs physiques, leurs personnalités, leurs

apparences vestimentaires évoluent de manière tout à fait logique et crédible.

Par exemple, le meilleur ami des parents de Blaise , qui était chauve (ou rasé) au début de la trilogie, revient dans le deuxième tome avec une espèce de grosse moustache de camionneur (qu’il semble arborer fièrement) puis dans le troisième épisode avec une coiffure pour le moins étrange et des grosses lunettes blanches (il a aussi gardé sa superbe moustache). Sa compagne affichant constamment un sourire figé et forcé éprouve plus de mal dans le dernier volet à garder celui-ci (manque d’endurance face à des événements tragiques où elle peine à jouer la comédie?).

La grand-mère, mère de Jacques (le père de Blaise), ne semble pas prendre une ride sur toute la saga. ; du moins ça ne se voit pas. Du premier au dernier épisode elle semble tout le temps avoir le même âge. Personnage très drôle de cette grand-mère réac’ voire même « facho » selon les dires de son propre fils, Jacques. Elle possède une particularité anatomique assez rigolote. Effectivement, elle a un œil plus haut que l’autre si l’on regarde bien. Je ne m’en étais pas rendu compte instantanément mais en analysant plus en avant les expressions faciales, la trouvant bizarre mais ne sachant pourquoi, je me suis rendu compte de cette singularité qui m’a beaucoup fait rire.

Et le fameux Blaise évolue peu, aussi bien physiquement que spirituellement.

COMMENTAIRE DU VOLUME UN :

Blaise est un petit garçon de huit ans, vivant avec ses parents, des « humanistes » de gauche intellos sur les bords. Il assiste impuissant à leurs discussions aberrantes sur la guerre, la politique (une dictature nait sous leur yeux) et des people. Le titre de la série est volontairement trompeur puisque nous ne voyons ou apercevons Blaise que très rarement. Il n’est qu’un prétexte pour mettre en valeur toute une galerie de personnages annexes.

Ses parents, la plupart du temps, se contentent de l’ignorer, oubliant même jusqu’à son anniversaire ou ne l’entendant pas lorsqu’il réclame avec insistance que l’on arrête la voiture pour qu’il puisse aller vider sa vessie. Toute ressemblance avec des personnes réelles ne serait donc pas que pure coïncidence.

Jacques et Carole (on ne connaît leurs noms seulement que dans le troisième tome), prétendument humanistes et « cools », se révèlent au fur et à mesure d’une étroitesse d’esprit insupportable.

La vieille institutrice de Blaise est également savoureuse. A moitié à la masse et sénile avec sa tête de tortue et ses grosses lunettes en cul de bouteille.

Le poste de télévision , délivrant ses débilités quotidiennement, est à lui seul un personnage puisqu’il est omniprésent dans la réalité de nos héros et influence ces derniers dans leur façon de voir la vie. Les passages télévisuels permettent de faire des petites respirations dans le récit notamment avec la star de football Dabi Doubane (élue ou auto-proclamée la « personnalité préférée des français) invité sur tout les plateaux télé, donnant des leçons de morale à tout va et vantant les mérites du nucléaire ou d’un fast-food dans des spots publicitaires. La petite famille assiste stoïquement ou avec ironie par le biais de la télévision, aux changements radicaux de la société qui les entoure (guerres et mise en place d’un régime totalitaire dans leur propre pays clairement annoncée par le chef d’état).

L’auteur dénonce avec finesse, talent et humour les dérives paranoïaques et sécuritaires d’une société qui se prétend libre mais qui se complait dans une quotidienneté radicalement opposée aux valeurs qu’elle clame. L’hypocrisie et les contradictions des protagonistes est ici démasquée.

COMMENTAIRE DU VOLUME DEUX :

Blaise est désormais devenu un adolescent boutonneux mal dans sa peau et tourmenté par ses questions existentielles (ça tourne presque exclusivement autour du cul ou de l’image qu’il voudrait renvoyer aux autres). Plus présent que dans le premier album mais toujours autant victime du dur monde injuste qui l’entoure. Les personnages ont évolué et de nouveaux font leur apparition comme le professeur de mathématiques. Très drôle avec son attitude sévère qui par exemple, intimide ses élèves n’osant pas répondre à un problème bien qu’ayant la réponse (on en a tous eut un comme ça !).

Le paysage télévisuel a lui aussi changé et encore une fois employé pour aérer l’histoire. Les programmes sont devenus encore plus crétins qu’auparavant (un rapport avec la nouvelle dictature mise en place ?) et ce grâce à un prétendu intellectuel invité de toutes les émissions, allant du journal télévisé à l’émission de télé-réalité à la mode ; le fameux Pierre-André de Sainte-Odile. Se qualifiant d’esprit libre mais faisant de la lèche comme c’est pas permis au président et évitant habilement tout les pièges vicelards tendus par le journaleux qui l’interviewe. Son look, sa coiffure de « penseur libre » et sa philosophie manipulatrice m’ont immédiatement fait penser à bernard henry-levy. Un autre personnage trône en maître dans le petit écran : Inspecteur Strauss ; parodie de Derrick. Rediffusé encore et encore et malgré tout regardé (ou vu) par la majorité des personnages de ce tome deux, et ce même s’ils disent tous ne pas aimer. Toute ressemblance avec des personnes réelles ne serait donc pas que pure coïncidence.

Planchon dénonce le culte de l’apparence qui se fait au détriment de la spiritualité, les idées reçues et préjugés, les hommes politiques, les réactionnaires, les médias et leurs stars.

COMMENTAIRE DU VOLUME TROIS :

Blaise est désormais un adulte. Devenu aussi manichéen que son père mais ayant gardé son coté timide et son profil d’éternelle victime qui me séduisaient tant chez lui.

Son père a pris un gros coup de vieux et est devenu un monstre d’égoïsme, de manipulation sournoise et d’hypocrisie.

Je ne peux pas dire grand-chose de dernier opus de crainte de faire un vilain spoil. Je peux toutefois dire que ce volet est beaucoup plus sombre et dramatique que les deux volets précédents.

Les programmes télévisuels sont désormais des films à caractère pornographique, passant aux heures de grandes écoute mais étant néanmoins censurés partiellement afin de ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes téléspectateurs.

Ce tome parait plus abouti graphiquement et la finesse des détails est flagrante.

Des couleurs flashys dissimulent habilement un malaise quotidien grisâtre et monotone. Un monde où règnent la dictature et la guerre, paraissant être la normalité et ne plus choquer personne.

CONCLUSION FINALE DE LA SERIE :

Petit Blaise va faire le dur apprentissage de la vie au détriment de son innocence. Bien que la série porte son nom, il n’en est aucunement le personnage principal mais plutôt le faire-valoir pour montrer un univers glauque camouflés par les effets de manches humoristiques astucieux de son auteur, Dimitri Planchon. Dur de rester innocent et naïf comme l’était Blaise au seuil de son existence lorsqu’on est cerné par un ramassis d’hypocrites, manipulateurs et égoïstes. Même ses propres parents le malmènent, le transformant ainsi d’un petit gamin introverti qu’il était, tétanisé par les conversations effarantes des « grandes personnes » en un être sans avenir et aussi vil que ses « créateurs ».

Un humour grinçant et corrosif tout en finesse, brillante satire de notre société occidentale, Blaise est une œuvre totalement subversive si ‘l’on se donne la peine de gratter la couche de vernis. Assurément une bande-dessinée qui ne laissera personne indifférent car bousculant gentiment son lecteur ainsi que les codes traditionnels du récit.

Nous rigolons de bon cœur pour au final nous apercevoir avec un certain dégout que c’est de nos propres défauts que nous nous moquons, couchés là, sur le papier.

Une question me turlupine : « Mais à quoi peut donc ressembler une dédicace de Dimitri Planchon ? »



Blaise


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