Salut Run et bienvenu sur BDmaniac, pour ceux qui ne te connaissent pas tu es l’auteur de Mutafukaz et le directeur du label 619 chez Ankama, peux-tu nous parler de tes débuts professionnels ?

Salut, et bien j’ai commencé en 1999 dans une agence multimédia qui s’appelait “Teamchman”. On faisait principalement du Flash et du contenu ludique sur Internet ce qui ne se faisait pas beaucoup à l’époque. On était un peu regardé comme des extraterrestres, mais l’agence s’est faite rapidement connaître grâce des projets comme Banja (ndlr : site de jeu en Flash) et a acquis une petite notoriété. On était tous entassés dans des petits bureaux à Lille, et j’ai appris le travail sur informatique là-bas.
Moi je sortais des beaux-arts où on faisait du dessin et de la gravure sur bois et c’était très éloigné de tout l’univers multimédia. C’est sur le terrain que j’ai découvert ce qu’on pouvait faire en Flash, et il y avait au sein de l’équipe une émulation qui nous portait les uns les autres.

Et comment est né Mutafukaz, à l’origine ton personnage s’est fait connaître via un film d’animation ?

Le processus a été assez long en fait. J’avais le projet de Mutafukaz depuis 1997. C’était assez éloigné de ce que je fais aujourd’hui dessus, mais les prémices de l’univers étaient déjà là. Au départ c’était des illustrations et quelques planches BD, mais quand je suis arrivé à Teamchman et que j’ai vu tout ce qu’il était possible de faire en Flash, je me suis lancé dans la réalisation d’un court métrage avec quelques amis :

Visible sur le site 619

Le film a bien marché et a rapidement fait le tour du monde ainsi que la tournée des festivals de courts-métrages, et a été nommé au Sundance festival de Salt Lake City.

Tu aurais pu continuer à surfer sur cette notoriété et conserver ton activité de Directeur Artistique chez Teamchman ?

A l’époque, au niveau de Teamchman, les choses avaient évoluée et la direction avait changé. On s’est retrouvé à faire des jobs moins créatifs mais plus rentables que les jeux en flash gratuits… La vidéo de Mutafukaz servait de support promo pour vendre de la prestation. J’avais pas signé pour faire des clips et des publicités au rabais, c’est donc à ce moment-là que je suis parti avec l’idée de faire une BD. Mais je me suis aperçu que les droits de Mutafukaz avaient été déposés par la boite pour laquelle je
travaillais et que je ne pouvais pas l’exploiter. J’ai donc dû attendre que Teamchman mette la clef sous la porte pour pouvoir récupérer mes droits.

Et qu’est ce qui t’a finalement amené à éditer ton livre chez Ankama ?

Une fois les droits de Mutafukaz récupérés, j’ai fait la tournée des maisons d’éditions et je me suis pris ma première grosse claque parce que personne n’y croyait. Je me suis donc retrouvé sans rien, à galérer. Et puis, quelques temps après, j’ai emmené un de mes potes qui n’avait pas de voiture pour un entretien d’embauche chez Ankama, c’est là que j’ai rencontré Tot. Il connaissait Mutafukaz et avait envie de lancer une maison d’édition chez Ankama. Mais à cette époque rien n’était fait et Ankama éditions n’avait pas encore d’existence officielle : ni distributeur ni diffuseur… J’avais un peu peur que le rêve s’effondre très vite, donc j’ai hésité. Mais c’était aussi l’occasion d’être en première ligne et Tot m’offrait une liberté éditoriale totale. Et la liberté qu’il m’offrait là, personne d’autre n’allait me la laisser, alors j’ai signé. Grand bien m’en a pris !

Au niveau du scénario de Mutafukaz, jusqu’où avais-tu préparé les aventures de tes personnages ?

Tout le fil rouge de l’histoire était déjà tracé mais je me laisse quand même une part de liberté pour me permettre de faire des digressions. Je trouve d’ailleurs que je me suis parfois trop laissé aller et sur le tome 2 par exemple, que je referai un peu différemment aujourd’hui. Avec le tome 4, sur lequel je travaille actuellement, je fais mon maximum pour ne pas trop sortir des clous et rester sur mes fondamentaux.


Angelino par RUN, teasing du tome 4 de Mutafukaz © RUN / Label 619 / Ankama Editions

Ce sera le dernier ?

Le dernier de ce cycle là en tout cas !

Et tu as une date de sortie ?

C’est un peu compliqué car entre le label 619 qui me demande beaucoup de temps et l’éventuelle adaptation de Mutafukaz en animé je suis obligé de dessiner mes planches le week-end ou sur mon temps libre.

Un animé de Mutafukaz ?

Pour l’instant ce n’est qu’à l’état de projet. On bosse dessus mais rien n’est encore fait, je ne peux donc pas trop en parler mais j’espère que ça se fera dans les meilleures conditions. De toutes façons, soit les choses se feront pour obtenir un résultat optimal soit elles ne se feront pas. Il n’est pas question pour moi de sortir un truc pas assumé.

Sinon concernant le label 619 dont tu nous parlais, peux-tu nous en dire un peu plus sur ton rôle de directeur de collection ?

C’est un travail passionnant, d’abord tu reçois les projets et tu sélectionnes. Ensuite, une fois que c’est signé, tu accompagnes les auteurs. Tu les conseilles, ça va de la mise en page à la construction psychologique des personnages. Même si je laisse une grande liberté ça ne m’empêche pas de veiller au grain, contrôler que la qualité soit constante sur la durée. Et si, par exemple, un auteur manque de temps, je vais lui rechercher de la documentation, ce genre de choses… Parfois on s’accroche un peu, alors on discute pour trouver un terrain d’entente. J’ai aussi des contraintes budgétaires à gérer qui concernent le nombre d’albums d’une série ou le nombre de pages, et il faut donc affiner le scénario pour que tout ça tombe bien.

Quelle ligne éditoriale veux-tu donner au label ?

C’est tout d’abord une mise en avant du côté urbain contemporain. Après il faut aussi qu’il y ait des univers singuliers et si possible un peu « rentre dedans ». J’ai envie de défricher des zones où les autres ne vont pas. Mon idée c’est de miser sur l’intelligence de nos lecteurs plutôt que de leur apporter la même chose qu’ils ont déjà lu cent fois ailleurs.

Concernant ton rôle au sein de l’équipe d’Ankama, tu bosses aussi dans l’équipe de production ?

Disons que Ankama est une boite qui a grossi très rapidement. Comme toujours dans ce genre de cas, on endosse de multiples casquettes car on n’a pas forcément tout de suite les ressources et les compétences à disposition. C’est comme ça que je me suis retrouvé à bosser six mois sur Wakfu en même temps que sur la sortie du tome 0 (It came from the moon) de Mutafukaz. Le fait de travailler avec Bicargo sur ce tome m’a permis de me dégager un peu de temps pour répondre présent à Tot, Ankama tout en continuant à avancer sur Mutafukaz, je ne voulais pas laisser les lecteurs attendre trois ans entre deux albums. Mais aujourd’hui j’essaie de rester focus sur ma mission première, et je me consacre essentiellement au label 619.

On a interviewé Davy Mourier qui nous a dit que tu avais aussi travaillé sur son album (41 euros pour une poignée de psychotropes) qui pourtant ne fait pas partie de ton label ?

Après il peut encore m’arriver de suivre des projets hors du label pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure. Dans le cas de Davy, ça m’a fait plaisir car c’est un mec que j’aime bien et puis ça reste de l’édition. Alors voilà, je lui ai donné des conseils, j’ai essayé de l’aiguiller dans ce que j’estime être la meilleure direction pour lui. C’était intéressant car c’est un album qu’on a conçu ensemble et Davy a tout à fait compris qu’une forme différente (un cahier à spirales) allait rendre son livre plus sympathique là où un album cartonné classique aurait pu passer pour prétentieux.


Run © Ankama

Concernant les projets du label 619 quelles sont les sorties que tu peux nous annoncer ?

D’abord Doggy Bags 2 qui sortira le 26 mars 2012 avec une histoire de Kieran et Ozanam (We are the night), une dessinée par Singelin (The Grocery) avec moi au scénario, et une autre dessinée par Bablet(La belle mort) et toujours moi au scénario. Il y aura aussi un Tank Girl inédit avec le scénariste original de la série, Alan Martin. Enfin on prévoit la sortie d’un grand livre de photos-reportage qui s’appellera L.A. Kings, qui nous éloignera un peu de l’univers de la BD.

Merci Run pour cette entrevue et bon courage pour tous ces projets à venir qu’on suivra avec attention ici !